ETATS-UNIS, EUROPE, RUSSIE, ET LEURS GRANDS FELINS CAPTIFS : LA CROISEE DES CHEMINS
Au moment où la politique chinoise concernant les tigres est de plus en plus contestée, une très large fenêtre d’opportunité s’ouvre sur ce sujet pour les USA, la Russie et l’Europe occidentale qui peuvent, à travers un réensauvagement de tigres captifs présents sur leurs territoires, sauver l’espèce, et lui assurer un avenir solide sur le long terme.
IMMENSES RESPONSABILITES HISTORIQUES
Les terribles méfaits de la politique chinoise des trente dernières années et
l’énorme menace qu’elle fait peser sur la survie des tigres sauvages sont des réalités incontournables.
Cela ne doit en aucun cas faire oublier que les Etats – Unis accomplirent des écocides d’une ampleur au moins comparable il y a un siècle, et que
la politique coloniale menée par certains pays européens (Angleterre , France, Russie) sur le continent asiatique avait précédemment provoqué la mort de
500 000 tigres en deux siècles d’une part, et brisé les relations qu’entretenaient les populations locales avec cet animal d’autre part,. cette rupture culturelle artificiellement induite étant un élément essentiel dans les difficultés actuelles dans les tentatives de protection des individus encore vivants dans la nature.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, les populations de tigres sauvages représentaient 2% de ce qu’elles avaient été avant 1750.
LE REENSAUVAGEMENT : URGENTE NECESSITE, FORMIDABLE OPPORTUNITE
Le tigre sauvage est aujourd’hui relictuel.
La situation catastrophique résumée par Kriss Treillard en janvier 2008 s’est encore aggravée depuis lors, de façon particulièrement nette pour le tigre de Sumatra notamment.
Face à cette situation, maintenir un grand nombre de tigres dans des structures diverses pour une période indéfinie, et sans la moindre politique d’ensemble n’a tout simplement aucun sens.
S’en tenir à une politique « classique » revient à accepter la disparition de l’espèce.
Or, il est possible, et pas très compliqué, de sauver le tigre dans l’immédiat, mais aussi lui assurer un avenir solide dans le long terme, par une redistribution géographique dirigée, prélude à une future diversification du pool génétique existant. Les grandes puissances disposent à cet égard de tous les moyens, scientifiques, financiers, humains et territoriaux, pour le faire.
Par ailleurs, des initiatives euro - américaines d’une importance significative auraient un impact considérable sur l’attitude des Chinois, poussés à imaginer des processus au moins équivalents, sous la menace de perdre la main dans cette affaire.
Une telle démarche induirait donc une dynamique de cercle vertueux.
Viviane Tytelman (2008) a rappelé comment Georges Adamson avait su réensauvager des lions imprégnés à partir de 1970.
Et Li Quan mène actuellement une expérience très intéressante avec un noyau familial de tigres en Afrique du Sud (Sennepin 2008 qui compte depuis le printemps 3 tigreaux viables, et qui a reçu le 7 mars dernier l’appui spectaculaire du Los Angeles Times (Dixon 2008).
De plus, une étude publiée en avril dernier dans Current Biology montre que la richesse génétique des populations captives a été considérablement sous estimée, et que celles – ci sont donc à même de jouer un rôle clef pour l’avenir de l’espèce (Luo, O’Brien and coll. 2008).
Des reconstitutions d’écosystèmes accueillants pour de grands fauves sont actuellement en cours aux Etats Unis : le plus ambitieux est mené par Josh Dolan, du Massachusets Institute of Technology, dans la prairie d’armoise de l’ouest du pays, avec pour objectif la cohabitation de lions et d’éléphants d’Asie . D’autre part, Brian Werner, qui dirige le Tiger Creek Wildlife Refuge, au Texas, envisage un plan de réensauvagement progressif.
Dave Foreman, du Rewilding Institute, envisage la réimplantation de jaguars dans le Sud des Etats – Unis.
Selon Stephan Carbonnaux, cette approche « devrait nous inspirer ici même en Europe occidentale » (Bousquet 2008).
En Russie, Serguei Zimov a engagé, en Iakoutie orientale, un travail comparable à celui de Dolan aux Etats – Unis. Il envisage à terme l’implantation de tigres de Sibérie.
CONSTAT ACTUEL : LE VIDE ABYSSAL
Aujourd’hui, la gestion des grands fauves captifs en Occident est en fait une non politique, qui ferme toute perspective de réadaptation future dans un milieu pas ou faiblement anthropisé. Le système tourne en vase clos, et n’induit aucun processus dynamique de retour à la liberté.
Qui plus est, zoos et cirques ont favorisé, à partir des années 70, des reproductions en masse pendant des décennies, ce qui génère une présence massive et non répertoriée de grands fauves chez des particuliers, les trafics les plus sordides, des safaris privés etc…
La situation est actuellement hors de contrôle, et le constat général est aussi horrifiant que celui effectué pour la Chine.
Voici les faits.
Tigres de compagnie chez les nouveaux riches
Pendant plusieurs décennies, parcs zoologiques et cirques américains ont favorisé une reproduction massive des grands fauves captifs.
L’ importance du phénomène suscita progressivement un marché lié à un phénomène de mode : les américains les plus fortunés s’offrirent de jeunes tigreaux, lionceaux, etc…
Dans un deuxième temps, cette coquetterie se démocratisa aux USA (un tigreau coutant moins de 400 dollars) et s’étendit aux nouveaux riches du monde entier, notamment à la fin des années 95 et au début des années 2000.
Ce phénomène concerne probablement, au total, plusieurs dizaines de milliers de grands félins. On évoque le chiffre de 6000 tigres pour la Russie et l’Asie centrale…
Une Amérique méconnue
Aux USA, deux articles circonstanciés publiés en octobre et novembre 2003 par le National Geographic montrèrent à la fois la dimension du phénomène et de ses implications.
Les chiffres cités donnent le tournis : certains évoquent la présence de 15 000 grands félins exotiques sur le territoire, dont plus de 10 000 chez des particuliers.
Il y aurait 10 fois plus de tigres et de lions chez des particuliers que dans des zoos. La majeure partie de cette population vivrait dans des appartements des grandes villes américaines, comme New York.
On cite la présence de 500 grands félins dans la seule agglomération de Houston (Texas) .
Le problème est considéré comme étant « en croissance incontrôlable ».
Des douzaines de cas de propriétaires tués ou blessés par leur animal de compagnie (dont un partiellement dévoré) étaient déjà répertoriés à cette époque.
Les animaux peuvent parfois se blesser ou se dévorer les uns les autres, ou agoniser dans des cages minuscules où ils baignent dans leurs excréments.
Tous les trafics possibles et imaginables se mettent ainsi en place et prospèrent.
Thapar (2004) évoque le cas particulièrement dramatique d’un californien ayant tenu un refuge pendant 25 ans, et dont la gestion fut un échec. Quand la police intervint sur sa propriété, elle découvrit, en plus d’animaux (dont de très jeunes « chatons ») émaciés et agonisants, 90 tigres morts – pourrissant sur le sol pour les uns, stockés dans des congélateurs pour les autres.
Le premier organisateur de safaris au monde
Enfin, les Etats – Unis possèdent sur leur sol plus d’un millier de ranchs où sont organisés, pour clients fortunés du monde entier, des safaris en espaces restreints c’est à dire des massacres de grands fauves à bout portant, souvent plus massifs que ceux orchestrés dans le cadre du Colisée à l’apogée de l’Empire Romain.
Des évènements comparables existent aussi en Europe : ainsi, pendant des années, des lynx, loups blancs, lions et tigres provenant de cirques furent massacrés dans la grande steppe espagnole d’Estramadure pour le plaisir de riches oisifs. En décembre 2005, le cadavre d’un tigre fut retrouvé et exposé dans la sous - préfecture de Badajoz (Sennepin 2006).
L’Afrique du Sud avait mis en place, au cours des années 90, des élevages de grands félins destinés à des safaris semblables (« la chasse en boîte », où l’animal est tiré à bout portant dans d’étroits corridors). Jusqu’à 6000 lions et de nombreux tigres furent concernés par ces jeux de massacre.
Sous pression internationale, le gouvernement avait fait mine d’interdire cette pratique en 2007, mais dans la réalité, des fermes à lions hébergeant plusieurs centaines de pensionnaires dans des conditions atroces continuent à prospérer.
700 individus avaient déjà été abattus en 2006, et plus du double (1500) le furent en 2007, année de la soi – disant interdiction.
Les Etats-Unis poursuivent aujourd’hui cette activité qui concerne des effectifs encore supérieurs.
Europe : « dégagement de marché » et trafics tous azimuts
L’Europe, qui semblait un havre de paix pour ses grands fauves captifs en comparaison de la Chine, n’est hélas pas moins destructrice que cette dernière à leur encontre.
Il a fallu une longue et minutieuse enquête en Angleterre puis en Belgique par deux journalistes britanniques, Daniel Foggo et Hala Jaber, pour mettre en lumière un énorme trafic de peaux et trophées de toutes sortes à travers l’Europe, avec comme source d’approvisionnement principale de nombreux zoos et cirques.
Ils ont publié les résultats de leurs investigations dans le Sunday Times du 22 Juillet 2007.
Leur constat est tout simplement accablant. Il apparaît que de nombreux cirques et parcs zoologiques tuent des tigres en bonne santé et vendent leurs corps à des taxidermistes qui fournissent ensuite de riches clients en « trophées ».
Le phénomène est massif : lesjournalistes reconnaissent qu’ils ont eu la chance de pouvoir enquêter en Angleterre, où les conditions politiques et juridiques ne les ont pas empêché d’aboutir. Ils auraient probablement échoué dans des pays du Sud de l’Europe, et ce qu’ils ont mis en lumière n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Ces trafics de tigres entiers ou en pièces détachées ne sont en fait que la conséquence logique d’une politique discrète mais résolue de l’EAZA (association internationale de gestion des populations d’animaux présents au sein des parcs zoologiques ) d’ assurer le maintien de « sous – espèces pures » au sein des populations de tigres captifs (Foggo et Jaber 2007).
Or, ceci repose sur une fiction scientifique, les 6 sous espèces supposées, classification sur laquelle se fonde la politique de l’EAZA, n’étant en réalité que 2 (Thapar 2004).
CONCLUSION
Porteur de la responsabilité historique principale dans la course à la mort du tigre sauvage, l’Occident se satisfait pour l’heure d’une gestion calamiteuse de ces animaux captifs, aux conséquences horrifiques.
Une nouvelle approche, basée sur la reconstitution d’écosystèmes et des protocoles de réensauvagement de grands félins, est aussi urgente qu’opportune.
Celle - ci aurait en effet des conséquences bénéfiques incalculables, incluant un gain politique considérable pour avoir effectivement sauvé l’animal qui a le plus fasciné les hommes sur les plans esthétique et religieux. Celà poussera la Chine, très sensible à « l’air du temps », à prendre ses propres responsabilités.
Le poète latin Martial a décrit le tigre des steppes eurasiennes comme « la Merveille et la Gloire des montagnes d’Hyrcanie ».
Renonçant à la construction d’une autoroute traversant le territoire du lynx pardelle, le 31 Mai 2007, les autorités espagnoles indiquèrent que « le gouvernement ne prendra pas la responsabilité historique de provoquer la première disparition d’une espèce de grand félin en Europe depuis la préhistoire » (Sennepin 2007).
L’Occident et la Russie sont devant un choix clair et immédiat, vis à vis de celui qui s’apparente à un lion des cavernes tricolore (Galhano – Alves, com. pers. 2008), merveille et gloire du monde depuis 2 millions d’années.
SITES WEB
4 continents pour les tigres
http://www.avenir-tigres.com